Bilan cyclonique 2005 sur l'Atlantique : une saison exceptionnelle

La saison des cyclones a été exceptionnelle par sa longueur - 7 mois de début juin jusqu'aux premiers jours de janvier de 2006 -, son activité et son caractère destructeur. Et c'est une année record à plusieurs titres : nombre de phénomènes cycloniques baptisés, nombre d'ouragans et d'ouragans intenses, et même valeur de pression basse inégalée.

Mais, notons aussi que hormis l'île de Grenade touchée par Emily, les Petites Antilles auront été épargnées cette année. Et on peut dire que l'archipel de la Guadeloupe comme l'île de la Martinique ont ainsi vécu une année 2005 plutôt calme sur le front des cyclones ….

La saison 2005 totalise donc 27 phénomènes cycloniques baptisés : le précédent record est pulvérisé, il datait de 1933 et était établi à 21 phénomènes. La liste des prénoms utilisée par le Centre de prévision cyclonique de Miami a été épuisée pour la première fois avec Wilma fin octobre. Il a fallu avoir recours ensuite durant les 2 mois suivants à l'alphabet grec, pour 6 cyclones, de Alpha à Zeta.

Durant la saison, 14 ouragans (vents supérieurs à 118 km/h) se sont formés. Parmi eux, 7 d'entre eux ont atteint ou dépassé la classe 3 de l'échelle des ouragans de Saffir-Simpson (vents soutenus dépassant 180 km/h), dont 3 de classe maximale 5.

Enfin, pour en finir avec les records de l'année, des mesures par avion ont révélé au cœur de Wilma une pression atmosphérique record de 882 hectoPascals (hPa). C'est la valeur barométrique - au niveau de la mer - la plus basse jamais enregistrée dans la zone de l'Atlantique, Caraïbes et Golfe du Mexique. Le précédent record pour la région était détenu par Gilbert en septembre 1988 avec 888 hPa à proximité de la Jamaïque. Le record mondial reste toutefois détenu par le typhon TIP le 12 octobre 1979 dans le Pacifique nord avec une pression estimée à 870 hPa.

On a évoqué l'aspect destructeur et meurtrier de cette saison, notamment dans les Caraïbes, en Amérique Centrale et aux Etats-Unis. Il est essentiellement dû aux cyclones suivants :

- DENNIS (classe 4) a fait une quarantaine de victimes sur Cuba puis a touché durement le nord-ouest de la Floride
- EMILY a fortement endommagé l'île antillaise de Grenade puis a touché sérieusement la Jamaïque (5 morts)
- KATRINA, ouragan de catégorie 5 (vents dépassant 280 km/h), a dévasté la région de La Nouvelle Orléans, la marée de tempête et les pluies abondantes responsables d'inondations meurtrières dans la ville (plusieurs centaines, peut-être 1200 à 1500 victimes …)
- RITA, après avoir sévi sur les Florida Keys, a provoqué de nouveaux dégâts considérables sur la Louisiane et l'est du Texas (6 morts)
- STAN a provoqué la désolation sur les régions montagneuses du Guatemala, et les régions voisines, par des inondations et coulées de boue meurtrières qui ont suivi son passage (officiellement plus de 750 victimes, mais on parle de 1000 à 1500 avec les disparus)
- WILMA, nouvel ouragan intense (vents supérieurs à 280 km/h au large du Yucatan) de l'extrême ouest de la Mer des Caraïbes, a sévi 3 jours dans la région de Cancun et Cozumel (Mexique), où on recensa 22 victimes, avant de passer sur le sud de la Floride de manière un peu affaiblie
- ALPHA, perturbation pluvieuse, est passé sur l'île de Hispaniola en faisant une vingtaine de victimes dans des inondations en Haïti et République Dominicaine
- GAMMA, autre perturbation de faible intensité venteuse, responsable d'au moins 37 morts suite aux inondations sur le Honduras.

Voici un récapitulatif des 14 ouragans et des 13 tempêtes tropicales de l'année :

Les 14 ouragans de la saison 2005

 

NOM

Classe de l'échelle de Saffir-Simpson
Période
Vents maximums soutenus
Pression la plus basse niveau mer
DENNIS catégorie 4 4 - 11 juillet
240 km/h le 8
938 hPa
EMILY catégorie 4 11 - 21 juillet
250 km/h le 16
930 hPa
IRENE catégorie 2 4 - 18 août
160 km/h le16
975 hPa
KATRINA catégorie 5 23 - 30 août
280 km/h le 28
902 hPa
MARIA catégorie 3 1er - 10 septembre
185 km/h le 6
960 hPa
NATE catégorie 1 5 - 10 septembre
150 km/h le 8
980 hPa
OPHELIA catégorie 1 6 - 17 septembre
140 km/h le 10
976 hPa
PHILIPPE catégorie 1 17 - 23 septembre
130 km/h le 19
985 hPa
RITA catégorie 5 17 - 24 septembre
280 km/h le 21
897 hPa
STAN catégorie 1 1er - 5 octobre
130 km/h le 4
979 hPa
VINCE catégorie 1 9 - 11 octobre
120 km/h le 9
987 hPa
WILMA catégorie 5 15 - 25 octobre
280 km/h le 19
882 hPa
BETA catégorie 3 26 - 30 octobre
185 km/h le 30
960 hPa
EPSILON catégorie 1 29 nov. - 8 décembre
140 km/h le 4
979 hPa


Les 13 tempêtes tropicales de la saison 2005


NOM

Période
Vents maximums soutenus
Pression la plus basse niveau mer
ARLENE 8 - 11 juin
110 km/h le 10
989 hPa
BRET 28 - 29 juin
65 km/h le 29
1004 hPa
CINDY 3 - 6 juillet
110 km/h le 5
997 hPa
FRANKLIN 21 - 29 juillet
110 km/h le 23
997 hPa
GERT 23 - 25 juillet
70 km/h le 24
1005 hPa
HARVEY 2 - 8 août
100 km/h le 4
994 hPa
JOSE 22 - 23 août
80 km/h le 22
1001 hPa
LEE 28 août - 1er septembre
65 km/h le 31
1007 hPa
TAMMY 5 - 6 octobre
85 km/h le 5
1001 hPa
ALPHA 22 - 24 octobre
85 km/h le 23
998 hPa
GAMMA 13 - 19 novembre
75 km/h le 18
1005 hPa
DELTA 23 - 28 novembre
110 km/h le 24
980 hPa
ZETA 30 décembre - 6 janvier
100 km/h le 3
994 hPa

 

Une activité cyclonique renforcée sur le bassin Atlantique !

Dans la zone Atlantique, mer des Caraïbes et Golfe du Mexique, on observe en moyenne (des 50 dernières années), 10 phénomènes cycloniques baptisés par saison, et parmi eux 6 ouragans, dont seulement 2 de catégorie 3 ou plus.

Depuis 1995, on constate une nette augmentation de ces chiffres, puisque la moyenne sur 10 ans est passée de 9 ou 10 en 1994 à près de 14 en 2004 !


Mais en 2005, cette moyenne de 14 est pulvérisée, puisque 27 phénomènes cycloniques ont été répertoriés, dont 14 ouragans.


Quant au nombre de cyclones intenses, il augmente aussi très sensiblement : 3 ouragans de catégorie 5 sur l'échelle de Saffir-Simpson, et 7 de catégorie 3 ou plus, au lieu de 2 à 3 habituellement. En terme d'activité cyclonique (englobant l'intensité et la durée de vie de chaque cyclone), nous avons observé une activité 2,6 fois supérieure à la moyenne.

Pourtant, si l'activité cyclonique augmente très sensiblement sur l'Atlantique depuis 1995, le nombre de phénomènes cycloniques sur l'ensemble du globe (tous bassins océaniques confondus) se maintient pourtant à environ 100 par an. Ces chiffres indiqueraient donc clairement que l'augmentation de l'activité cyclonique constatée en Atlantique est un phénomène régional, et non pas d'échelle mondiale.

En réalité, la proportion du nombre de cyclones sur l'Atlantique dans l'activité mondiale est passée de 8 % au début des années 90 à 16 % en 2004, et cette année la part " Atlantique " représente plus de 27 % du total mondial ! ! ! (cf graphique ci-dessous)

Cette activité exceptionnelle était-elle réellement prévue de longue date, comme on l'entend dire ça et là ?

Nous nuancerons la réponse, à partir des chiffres et prévisions établies par l'équipe de scientifiques de W. Gray (université du Colorado), équipe qui fait autorité aux Etats-Unis et dans la zone des Caraïbes et qui étudie justement les relations entre l'activité cyclonique et certains paramètres prédicteurs.
En décembre 2004, l'équipe avait anticipé sur une année 2005 très légèrement plus active à la moyenne : 11 phénomènes baptisés, dont 6 ouragans et une activité de l'ordre de 115 % de la moyenne.
En avril 2005, les chiffres étaient revues à la hausse, à partir de paramètres mesurés durant l'hiver boréal : 13 cyclones baptisés, dont 7 ouragans, activité de l'ordre de 135 % par rapport à la moyenne.
Début juin 2005, nouvelle réactualisation à la hausse : 15 cyclones, dont 8 ouragans et activité de l'ordre de 170 %
Enfin en août, puis septembre et même début octobre 2005, les chiffres prévus étaient de : 20 cyclones baptisés (dont 10 ou 11 ouragans) et activité de l'ordre de 215 à 235 %.
On sait désormais ce qu'il advint avec 27 cyclones, dont 14 ouragans, et une activité exceptionnelle de l'ordre de 160 % supérieure à la moyenne …chiffres très éloignés des annonces effectuées en décembre 2004 et même en avril de cette année !



Peut-on relier cette intense activité cyclonique au réchauffement climatique ?


L'occurrence cette année de plusieurs phénomènes puissants et très destructeurs, notamment sur tout le pourtour du Golfe du Mexique - on pense à l'ouragan Katrina aux Etats-Unis mais pas seulement - a conduit les autorités dans leur communication vers la population et les média, à relier facilement cette augmentation subite de l'activité cyclonique, déjà forte ces 10 dernières années d'ailleurs, au réchauffement climatique qui s'avère être d'ampleur mondiale.
Pourtant, l'analyse scientifique qui permettrait de confirmer cette hypothèse et donc d'abonder dans ce sens n'est pas aussi facile à établir. Car elle nécessite une étude globale sur un nombre d'années suffisant et tenant compte de tous les aspects de l'activité cyclonique (nombre de cyclones, leur intensité, durée de vie, quantité de pluies, etc.). Etude qui ne peut être sérieusement menée encore à l'échelle du globe sur un échantillon de plusieurs dizaines d'années (plus de 50 par exemple), car les phénomènes à étudier sont des phénomènes essentiellement maritimes, dont l'analyse est facilitée seulement depuis une trentaine d'années par l'utilisation des images satellites.

Mais on sait néanmoins que les cyclones tropicaux se forment en cours et fin d'été lorsque la température de l'océan est suffisamment élevée - 26°C à 27°C sur 30 à 50 m d'épaisseur - cette énergie thermique potentielle à la surface des étendues océaniques étant un facteur nécessaire, mais pas suffisant, des genèses de cyclones.
On sait aussi que la surface de la Terre a subi une augmentation de sa température moyenne de l'ordre de 0,6°C au cours du XX ème siècle. Et que la température des océans, si elle ne réagit pas uniquement et directement à cette hausse thermique, semble aussi s'être réchauffée globalement ces dernières années. De même, l'évaporation a augmenté également au-dessus de ces surfaces maritimes, favorisant ainsi une élévation de la vapeur d'eau dans l'atmosphère, paramètres tous favorables à l'accroissement de l'activité cyclonique

Pourtant, les travaux menés pour le compte du GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat) ne confirment pas vraiment cette hypothèse et indiquent que :
- les régions tropicales sont et seront moins touchées que les régions tempérées par cette hausse de température sur la Terre ;
- conséquence probable d'un ensoleillement moindre dans un grand nombre de ces régions. Il serait réduit par une couverture nuageuse plus étendue résultant d'une évaporation océanique renforcée par l'augmentation de la température ;
- les zones menacées par les cyclones tropicaux ne seraient pas considérablement étendues ;
- le profil particulier des vents en altitude nécessaire à la formation et au développement des cyclones ne serait pas forcément observé plus souvent.

Ainsi, pour le moment, doit-on se contenter d'avancer que le constat effectué à partir de la relative stabilité du nombre de cyclones sur l'ensemble du globe (environ 100 depuis de nombreuses années maintenant) fournit déjà une réponse à la question initiale à l'échelle mondiale, plutôt négative donc.

Le réchauffement climatique n'entraînerait donc pas nécessairement une hausse significative du nombre de cyclones sur l'ensemble du globe, même si l'on ne peut nier l'augmentation constatée d'un plus grand nombre de cyclones intenses ces dernières années, probable conséquence d'une hausse thermique des océans au-dessus desquels se développent ces perturbations.

Par contre, il apparaît que depuis une dizaine d'années, l'activité cyclonique sur le bassin de l'Atlantique et les mers adjacentes (Golfe du Mexique et Mer des Caraïbes) est en augmentation sensible.
Les scientifiques identifient comme cause probable de cette évolution la modification de la circulation thermo-haline sur l'océan Atlantique (dont l'une des composantes est le Gulf Stream). Cette lente circulation océanique est conditionnée par les vents et les marées, mais aussi par les différences de salinité de l'eau. Elle est organisée en courants marins horizontaux et verticaux qui jouent un rôle déterminant dans les conditions météorologiques et le climat des continents avoisinants. Une fonte accentuée des glaces de l'hémisphère Nord, au niveau du pôle notamment, qui est une des conséquences remarquées du réchauffement climatique, a ainsi pour conséquence de faire baisser la salinité des eaux, et à modifier ainsi leur densité, ce qui modifierait de manière profonde les courants océaniques sur l'Atlantique Nord, on parle notamment d'un ralentissement du courant "chaud" du Gulf Stream.

Mais ces changements observés sont-ils irréversibles ou correspondent-ils à des cycles pluri-annuels (de 20 à 30 ans comme certains scientifiques le pensent) ? Sont-ils régionaux, plutôt limités ces dernières années sur l'Océan Atlantique, ou toucheront-ils l'ensemble des bassins océaniques du globe ?

Plus de questions que de réponses on le voit, lorsqu'il s'agit d'établir des relations directes entre le réchauffement climatique et les modifications climatiques qu'il induit, notamment en terme d'activité cyclonique …