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Service Régional de Guadeloupe
COMPTE RENDU METEOROLOGIQUE Passage de l'Ouragan GEORGESles 20 et 21 septembre 1998 sur l’archipel de la Guadeloupe |
- 1 - Historique (trajectoire, évolution)
Les îles situées entre Sainte-Lucie et Antigua deviennent alors vraiment exposées, les prévisions de trajectoire anticipant sur un passage à proximité immédiate de la Martinique.
Le 19 au matin, 24 heures plus tard, l’ouragan est de classe 3 ; un avion de reconnaissance parti explorer le cyclone le samedi 19 trouve en mi-journée une pression centrale au niveau de la mer de 939 hectoPascals ! GEORGES est un ouragan de classe 4 majeur et particulièrement redoutable avec un œil de près de 60 km de diamètre. L’ouragan est alors à 500 km à l’est de la Guadeloupe et les mises en garde de la population particulièrement appuyées (son intensité est effectivement légèrement plus forte que celle de HUGO 89 avec des vents maximaux soutenus estimés à 240 km/h et des rafales dépassant 300 km/h). La vitesse de déplacement ralentit sensiblement, devenant voisine de 26 km/h en fin de nuit du 19 au 20.
L’ouragan est alors prévu de traverser la Guadeloupe ou de passer juste au nord, mais des vents très violents sont donc envisagés sur le territoire ; on estime qu’il passera à plus de 100 km au sud de Saint-Barth’ et Saint-Martin et que ces îles devraient donc un peu plus épargnées que La Guadeloupe.
IMAGE IR du 20/09/98
à 09 UTC
à son maximum d’intensité
(classe IV)
Du 21/09/98 à 02 UTC
Intensité de classe II
- 2 - Prévisions et Alertes
-
En matière de prévision d’intensité, ce fut moins bon car les
changements, certes brutaux, constatés à proximité des Petites Antilles ne
furent pas prévus. Les Américains eux-mêmes avouent leurs limites en ce qui
concerne ce type de prévisions cycloniques, a priori les plus délicates à
faire.
-
Anglais (UKMET) : les modèles utilisés par les américains du NHC/TPC
de Miami font référence dans notre zone, mais on peut dire un mot des prévisions
anglaises de Bracknell, dont les sorties se font 2 fois par jour à partir
de « run » à 00 et 12 UTC. Les prévisions de trajectoire ne furent
pas excellentes avec une remontée vers le nord excessive, moins réaliste que
la trajectoire tendue vers l’ouest-nord-ouest des Américains. Trois
jours avant l’arrivée de GEORGES sur l’arc antillais, la prévision
indiquait un évitement total par le nord, assez loin, plus de 300 km. Quant
aux prévisions à 36 heures d’échéance, celles qui permettent de déclencher
le plan spécialisé, elles furent moins mauvaises avec un passage prévu un
peu au nord des îles les plus au nord des Petites Antilles, ce qui fut presque
le cas. Les prévisions du 19 à 00 puis 12 UTC et du 20 à 00 UTC ont pourtant
ensuite maintenu des positions prévues au nord de la réalité, aucune île n’étant
prévue d’être percutée par l’ouragan ...
-
Les prévisions d’intensité, assez sommaires dans ce modèle avec
un seul qualificatif utilisé (weak, moderate, strong, intense), ne furent
pas bonnes. Jugé weak ou moderate alors qu’il devenait ouragan de classe
2 puis 3, on ne peut lui accorder aucun crédit ...
MISE
en GARDE ADMINISTRATIVE le vendredi 18 septembre à 08h00
(pour l’ensemble du département)
Probabilité de
voir le cyclone à moins de 120 km dans les prochaines 72 h. :
Guadeloupe : 26 % (21 entre + 36 et + 48 h. ; 5 entre + 48 et + 72 h.)Iles du Nord : 21 % ( 8 entre + 36 et + 48 h. ; 13 entre + 48 et + 72 h.)
ALERTE
n°1 déclenchée le vendredi 18
septembre à 18h00
Probabilité de
voir le cyclone à moins de 120 km dans les prochaines 48 h. :
Guadeloupe : 25 % ( 6 entre + 24 et + 36 h. ; 19 entre + 36 et + 48 h.)
ALERTE
n°2 le dimanche 20 septembre à 03h00
(annoncée la veille à 19h00)
Probabilité de
voir le cyclone à moins de 120 km dans les prochaines 24 h. :
Guadeloupe : 53 % (entre + 3 et + 24 h.)
ALERTE
n°2 RENFORCEE le dimanche 20 septembre
à 10h00
Probabilité de
voir le cyclone à moins de 120 km dans les prochaines 24 h. :
Guadeloupe : 69 % (entre + 3 et + 24 h.)
CONSIGNE
n°3 – Organisation des secours
le lundi 21 septembre à 10h00
FIN d’ALERTE
2 décidée le lundi 21 septembre à 10h00 (même heure que
n°3)
St-Barthélémy et St-Martin
ALERTE
n°1 déclenchée le samedi 19 septembre à 07h00
Probabilité de
voir le cyclone à moins de 120 km dans les prochaines 48 h. :
Iles du Nord : 18 % ( 3 entre + 24 et + 36 h. ; 15 entre + 36 et + 48 h.)
ALERTE
n°2 déclenchée le dimanche 20 septembre à 12h00
Probabilité de
voir le cyclone à moins de 120 km dans les prochaines 24 h. :
Iles du Nord : 54 % (entre + 3 et + 24 h.)
ALERTE
n°2 RENFORCEE le dimanche 20 septembre
à 22h00
Probabilité de
voir le cyclone à moins de 120 km dans les prochaines 24 h. :
Iles du Nord : 76 % (entre + 3 et + 24 h.)
CONSIGNE
n°3 – Organisation des secours
le lundi 21 septembre à 15h00
FIN d’ALERTE
2 décidée le lundi 21 septembre à 15h00 (même heure que
n°3)
Image
Radar de Martinique (PPI 200) du 20/09/98 à 16h32 locales
l faut bien avouer que cette évolution avec un net affaiblissement du système, celui-ci devenant de plus dissymétrique (activité concentrée dans les secteurs nord, est et sud alors que les secteurs ouest et sud-ouest étaient peu pluvieux et peu venteux ) nous a surpris et nous a joué des tours en matière de communication, les effets du cyclone en Guadeloupe, très modérés, n’étant pas comparables avec ceux envisagés le 20 au matin. D’autant que cette évolution n’a, à aucun moment, été envisagé par les modèles numériques de prévision, le NHC de Miami prévoyant un passage de l’ouragan sur la Guadeloupe avec des effets d’ouragan de classe 4. C’est toute la difficulté d’analyse du phénomène lui-même qui s’est ensuite répercutée sur son évolution mal prise en compte ...
Pourquoi l’ouragan
s’est-il brutalement affaibli le dimanche 20 au matin ?
Les média et une partie
de la population s’étant déchaînés à partir de lundi pour nous interroger
sur ce qui était arrivé au cyclone qu’on annonçait des plus violents,
on ne peut se dérober, et en tant que scientifiques, nous allons essayer d’apporter
quelques éléments d’explication.
Les rumeurs ayant
colporté beaucoup d’hypothèses, certaines extravagantes, essayons tout
d’abord de faire la part des choses.
Non, ni les
Américains, ni quelque autre puissance étrangère, n’ont tenté des expériences
hasardeuses d’affaiblissement du système cyclonique par ensemencement
de particules métalliques de type iodure d’argent (propos colportés
par des rumeurs et répercutés sur les radios de l’île). Si ce genre
d’expériences ont pu avoir lieu il y a quelques dizaines d’années,
ce le fut au-dessus de cyclones naissant (à l’état d’embryons
lorsqu’ils n’ont pas acquis encore beaucoup de puissance), dans
le cadre d’essais scientifiques internationaux, hors de tout territoire.
Les conclusions de ces expériences furent si médiocres, qu’on cessa
vite ce genre d’aventures de type « apprenti sorcier ». Ne
parlons pas plus de pseudo-explosions atomiques ou nucléaires, qui certes
avaient été envisagées en 1945 par le maire de Miami, qui ne se souciait guère
apparemment des retombées dangereuses pour la population, idée immédiatement
rejetée par le Président des USA de l’époque Harry Truman. Rejetons-vite
ces hypothèses relevant plus de films de science-fiction que de réalité météorologique.
Nous savons
que ces rumeurs ont été corroborées par le fait que dimanche 20 après-midi,
certains ont ressenti des odeurs de soufre et des picotements aux yeux. L’explication
en est toute simple : lorsque les vents ont tourné au secteur nord-ouest
à l’avant du cyclone, ils ont amené avec eux des particules de cendre
et un air chargé de soufre provenant du volcan encore bien actif de Soufriers
Hills de Montserrat (île située justement au nord-ouest de la Guadeloupe).
Revenons-en
donc à des considérations sérieuses. L’étude des cartes d’analyse
de la situation à 200 hectoPascals (vers 12 km d’altitude) permet de
mieux comprendre l’environnement atmosphérique de haute altitude du
cyclone à son arrivée sur les Petites Antilles.
Le cyclone GEORGES
s’est donc intensifié le samedi 19, profitant de conditions météorologiques
favorables : eaux très chaudes à l’ouest du 50°Ouest, alimentation
en humidité suffisante, force de Coriolis augmentant au fur et à mesure de
sa légère montée vers le nord, divergence en haute altitude favorisée par
le développement d’un anticyclone dans son quadrant nord-est. Le moteur
thermo-dynamique (espèce de cheminée en pleine action « tirant »
bien) fonctionnait parfaitement sans s’emballer.
En fin de journée
du 19, les mesures effectuées en altitude tant au Raizet (Guadeloupe) qu’à
la Barbade, montraient une rotation des vents au secteur Nord-Est, vents qui
venaient auparavant du Sud-Est au-dessus de 10 km d’altitude. GEORGES,
en s’approchant de l’archipel antillais, trouvait brutalement
des conditions de haute troposphère défavorables, les vents de nord-est puis
nord le 20 contribuant à le « cisailler », le sommet de la machine
« toussant » faute de divergence suffisante pour expulser les masses
d’air montantes du système cyclonique. De classe 4, il s’affaiblit
en quelques heures classe 3 puis 2 dans la nuit du 20 au 21, l’œil
n’étant plus discernable, masqué par l’étouffement de l’échappement
des couches supérieures de l’atmosphère.
Mais on peut se demander
pour quelle raison, la situation favorable à son développement est brutalement
devenue défavorable ? Pourquoi une cellule de hautes pressions en haute
altitude s’est-elle développée en mer des Caraïbes, au sud de Porto
Rico, à l’avant du cyclone qui est venu se jeter dans cette zone le
contrariant ?
L’hypothèse que nous retenons
pour le moment, faute d’éléments contradictoires, serait que le formidable
« outflow » (expulsion en haute troposphère de la masse d’air
montante dans la cheminée du cyclone) créé par l’ouragan en montant
en puissance le 19, avec élargissement spectaculaire de l’œil au
centre, a été plus important vers l’ouest, fabriquant ainsi en quelque
sorte la zone anticyclonique à l’avant qui va vite l’affaiblir.
Comme si un moteur s’emballait, tournait en sur-régime et que l’échappement
contrarié étouffait le régime de ce moteur (vue simpliste des choses, mais
nous n’avons pas d’autre image).
Dans le passé BAKER 1950, BETSY
1956 par exemple, ont eu le même comportement avant de passer à proximité
de la Guadeloupe sous forme atténuée, mais on n’eut pas de vraie explication
sur ce phénomène.
Nous rejetons, faute d’indices,
l’hypothèse selon laquelle la zone de hautes pressions en Mer des Caraïbes
aurait pré-existé, indépendamment de GEORGES, et aurait été brusquement alimentée
le 19 par l’anticyclone plus au nord : les sondages de vent effectués
en Caraïbes ne le montre pas ...
- 3 - Conséquences du passage de l’ouragan
GEORGES sur les Antilles françaises
Le maximum enregistré sur nos appareils
fut sur l’anémomètre de La Désirade qui a mesuré des vents moyens soutenus
(sur 1 minute) de 120 km/h environ vers 22h00 le dimanche soir avec des rafales
de 135/145 km/h entre 20h00 et minuit.
Une longue houle cyclonique est arrivée dès la journée de dimanche sur les
îles de l’archipel puis s’est amplifiée en soirée. La bouée-houlographe
située au large de Port-Louis a mesuré une hauteur caractéristique (H 1/3)
de 4,60 m vers 21/22h00 le 20 en soirée avec quelques vagues comprises entre
6 et 7 mètres jusqu’à 02h00 du matin le 21.
Pas de précipitations exceptionnelles non plus, mais des quantités fortes
de précipitations tout de même, inférieures à 80 ou 100 mm toutefois.
Le vent de nord-est à est (NE/E) a atteint 110/125 km/h en valeur soutenue
et des rafales de 170 à 190 km/h ont été enregistrées.
La houle de secteur Est fut ressenti assez tôt le dimanche et fut du même
ordre de grandeur qu’en Guadeloupe, voire un peu plus avec des vagues
estimées entre 5 et 7 mètres en valeur caractéristique.
En marge sud de GEORGES, un col barométrique accompagne l'ouragan
dans son transit vers l'Ouest nord-ouest. Le gradient de pression reste faible
sur la Martinique, quand GEORGES passe au plus près de l'île, le 21 septembre
à 00 UTC soit 20h00 locales, à environ 200 km dans le nord-nord-est.
Le samedi 19 septembre, les vents de nord-est n'excèdent guère 30 km/h. A
l'approche de l'ouragan, ils s'orientent au nord dans la soirée et au nord-nord-ouest
dans la nuit, sans renforcement notable. Le dimanche 20, ils soufflent du
secteur ouest à 25/30 km/h environ et les rafales avoisinent 60 km/h.
Dimanche soir, alors que GEORGES s'éloigne en Caraïbe, le vent s'oriente au
secteur Sud. Une poussée anticyclonique sur l'Atlantique, favorise alors un
resserrement du gradient sur notre région. C'est dans la deuxième partie de
la nuit de dimanche à lundi, que sont observés les vents les plus forts. A
la Caravelle, les vents soufflent à près de 50 km/h en moyenne entre 03 et
06h00 du matin.
SITES |
Heure |
Direction
(°) |
Vent Moyen |
Rafales |
Rafales max. |
Desaix |
20 à 20h30 |
230 |
29 km/h |
50 km/h |
|
Desaix |
20 à 23h30 |
160 |
|
|
65 km/h |
Gd Rivière |
20 à 17h30 |
270 |
43 km/h |
54 km/h |
|
Diamant |
20 à 17h30 |
230 estimé |
29 km/h |
|
72 km/h |
Diamant |
20 à 23h00 |
160 estimé |
40 km/h |
65 km/h |
|
Vauclin |
21 à 05h00 |
160 |
36 km/h |
|
54 km/h |
Caravelle |
21 à 03h00 |
170 |
54 km/h |
|
72 km/h |
La pression minimale observée à
l'aéroport du Lamentin est de 1007.5 hPa (pression atmosphérique réduite niveau
mer ), le 20 septembre à 1941 UTC soit 15h41 locales, alors que GEORGES n'est
pas au plus près de l'île, et qu'il est en perte de vigueur. Cette valeur
n'a aucun caractère exceptionnel.
Le 21 septembre à 00 UTC, l'advisory
n°23 du NHC Miami signale une hausse de près de 25 hPa en 24 heures près du
centre.
Les précipitations
importantes ont épargné la Martinique. Elles ont accompagné l'ouragan dans
sa partie Est surtout en périphérie immédiate du centre. Sur la Martinique,
seules quelques lignes très minces de grains épars pris dans la circulation
de sud-ouest dimanche après-midi, ont occasionné des averses. Les cumuls ne
sont pas significatifs.
La houle est le seul paramètre ayant présenté un caractère exceptionnel lors
du passage de GEORGES sur le nord de l'arc antillais.
En Atlantique:
Le samedi 19 septembre, on observe encore en bordure atlantique
une petite houle résiduelle de Nord-est voisine de 1 mètre.
Une longue houle très énergétique de nord-est (050 à 060°pour 14 secondes),
vient progressivement s'y superposer dès la fin de la matinée. Les houlographes
du Robert et de Grand-Rivière mesurent respectivement 3,20 m (à 17h30) et
4,20 m (à 14h30), le 20 dans l'après-midi. Il s'agit là des seules mesures
disponibles et elles ne reflètent peut-être pas l'amplitude maximale. Compte
tenu des H1/3 mesurés, on peut raisonnablement penser que les hauteurs maximales
ont dépassé 5 mètres dimanche après-midi. GEORGES aborde alors le 59°W. Cette
houle de nord-est s'amortit très vite la nuit suivante.
En bordure Caraïbe:
Le fetch de nord-ouest qui précède GEORGES est bien trop court et ce n’est plus un ouragan majeur. La houle de nord-ouest ne sera pas significative.